L'espace de liberté, de sécurité et de justice

L'espace de liberté, de sécurité et de justice


L’ouverture du Marché commun européen vise à assurer la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux par l’abolition des frontières intérieures. Progressivement, la Communauté économique est constituée alors que subsistent des structures nationales différentes dans les domaines de la sécurité, de la police et de la justice. D’où la nécessité de mesures complémentaires au niveau européen pour assurer la protection des citoyens et garantir leurs libertés. A l’intérieur de l’Union européenne, en dépassant les cloisonnements et les disparités entre les États membres en ce qui concerne la sécurité intérieure, la lutte contre la criminalité et la sécurité juridique des relations transfrontalières économiques et humaines. Vis-à-vis de l’extérieur de l’Union, en assurant une protection à l’égard des pays tiers et en ajoutant à l’Union douanière une politique commune d’asile et d’immigration.


Des solutions ont été recherchées, d’abord de façon pragmatique, par le développement de la coopération intergouvernementale dans ces domaines de souveraineté nationale, avant de s’orienter vers une approche globale dans un cadre progressivement communautaire.


La coopération policière, rendue nécessaire pour lutter contre le terrorisme et la toxicomanie, s’est développée à partir de 1976 avec la mise en place du groupe TREVI (Terrorisme, radicalisme, extrêmisme et violence internationale), réunissant les chefs de police des États membres et éventuellement les ministres de l’Intérieur ou de la Justice, dont les compétences se sont étendues au terrorisme, à l’échange d’informations et à la criminalité organisée.


Le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne prévoyait la coopération judiciaire (article 220) en droit civil pour la protection des personnes et des sociétés. D’où la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 sur la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. La coopération pénale n’était pas prévue. Aussi Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française, propose-t-il, en décembre 1977, la création d’un « espace judiciaire européen » en commençant par une convention d’extradition automatique. Deux conventions sont alors signées sur la répression du terrorisme et l’extradition mais ne sont pas mises en œuvre pour l’ensemble des Communautés européennes en raison du refus de ratification par plusieurs États. La proposition de Robert Badinter, ministre français de la Justice, en octobre 1982, de créer une Cour pénale européenne n'est pas adoptée.


La coopération policière et judiciaire intergouvernementale s’organise avec la mise en œuvre du grand marché intérieur, prévue par l’Acte unique européen (17-28 février 1986), par l’« établissement d’un espace sans frontières intérieures » avant le 31 décembre 1992. Mais la suppression des contrôles frontaliers pose le problème de la circulation des personnes et exige l’élaboration de mesures nouvelles sur le plan de la sécurité et de la justice.


L’Acte unique institutionnalise la coopération politique, essentiellement consacrée à la politique étrangère, mais qui est aussi utilisée pour relancer la coopération policière et juridique dans un cadre strictement intergouvernemental. Les travaux du groupe TREVI sont intensifiés et un plan d’action contre le terrorisme est adopté à Dublin en 1990. Un groupe de coopération judiciaire est créé en 1986 : sept accords ou conventions sont signées entre 1987 et 1991 sur l’extradition, la transmission des procédures répressives, l’exécution des condamnations pénales étrangères ou le recouvrement des créances alimentaires mais elles n'entrent pas en vigueur, n’étant pas ratifiées par la totalité des États membres. La Convention de Dublin sur la détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile de juin 1990 n’entre en vigueur que le 1er septembre 1997 du fait de la lenteur des ratifications nationales.


Quant à la convention « frontières extérieures » visant à définir les frontières extérieures de la Communauté européenne terrestres, aériennes et maritimes, à préciser la nature des contrôles devant y être effectués et à établir des règles communes des États membres en matière de visas d’entrée, élaborée en 1991, elle n’est pas signée, l’Espagne ayant soulevé le problème du statut territorial de Gibraltar.


Ces difficultés de la coopération à douze incitent quelques pays à progresser sans attendre les autres. Le chancelier allemand Kohl et François Mitterrand, président de la République française, prennent l’initiative de procéder à la suppression progressive des contrôles à la frontière franco-allemande (accord du 13 juillet 1984). Les pays du Benelux manifestent l’intention de les rejoindre et la Commission propose alors d’étendre l’accord franco-allemand à l’ensemble de la Communauté. Mais le Conseil s’y refuse. Dès lors, c’est un accord entre les gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne (RFA) et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes qui est conclu à cinq à Schengen (Luxembourg) le 14 juin 1985. L’« espace Schengen » ainsi créé s’élargira progressivement aux autres pays, sauf la Grande-Bretagne et l’Irlande, et permettra de progresser dans les domaines de la coopération policière et judiciaire pour la libre circulation des personnes, effective en mars 1995.


En même temps que commence à se développer le système de Schengen, une étape essentielle est franchie lorsqu’il est envisagé de passer de la coopération policière et judiciaire à la communautarisation de ces politiques dans le cadre de l’Union européenne.


C’est l’Allemagne qui préconise ce changement d’approche au Conseil européen des 28-29 juin 1991. A la suite de l’effondrement des régimes communistes à l’Est, l’afflux des demandeurs d’asile crée un problème pour l’Allemagne qui reçoit à elle seule la moitié des réfugiés accueillis dans la Communauté. Les ministres des Länder qui subissent la charge de l’accueil, font pression sur le gouvernement fédéral pour une prise en charge au niveau européen. Aussi le chancelier Kohl propose-t-il d’approfondir le problème de l’asile et de l’immigration dans la perspective d’une éventuelle communautarisation et de préparer la création d’une entité policière commune, en particulier pour lutter contre le trafic de drogue.


Parallèlement à la Conférence intergouvernementale (CIG) sur le futur traité sur l’Union européenne, les groupes de travail du Conseil explorent ces deux domaines. Le groupe TREVI s’oriente vers la problématique d’un Office européen de police (Europol). Le groupe "Immigration et asile" dépasse le problème de la libre circulation des personnes pour envisager la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.


Toutefois, l’évolution vers la communautarisation à partir de systèmes juridiques nationaux, ancrés dans la tradition culturelle des nations et élément essentiel des souverainetés nationales, ne peut être que progressive ainsi que le montrent les traités de Maastricht puis d’Amsterdam.


Le traité sur l’Union européenne (7 février 1992) incorpore l’action judiciaire et policière dans le champ de ses compétences « comme questions d’intérêt commun », mais prévoit pour elle, comme pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), un processus de décision essentiellement intergouvernemental. Le « troisième pilier » Justice et Affaires intérieures regroupe et organise les multiples coopérations développées de façon dispersée, désormais considérées comme d’intérêt commun mais restant soumises à la règle de l’unanimité. En ce qui concerne la coopération policière, le Conseil européen de Maastricht se borne à créer une « unité drogue » au sein du groupe TREVI en attendant la création d’Europol.


Avec la révision du traité sur l'Union européenne par le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, un progrès décisif est fait par le transfert au « pilier » communautaire de l’essentiel de la substance du troisième « pilier » (sauf le droit pénal) et par l’affirmation d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice » quel que soit le cadre institutionnel (premier ou troisième pilier). C’est donc une approche globale de tous les problèmes concernant la circulation des personnes. Assurer la sécurité intérieure devient le nouvel objectif de l’Union européenne. C’est un concept juridique nouveau qui remet en question la notion classique de souveraineté. D’où la complexité des dispositions institutionnelles pour trouver un équilibre acceptable par les États entre la méthode communautaire et la pratique intergouvernementale. D’autant que, non seulement des objectifs sont fixés, mais des délais de réalisation sont également prévus.


Le premier « pilier » Communauté européenne reçoit des compétences (politique des visas, asile, immigration et coopération judiciaire civile) qui relèvaient du troisième « pilier » de la coopération intergouvernementale. Mais ces matières ne sont pas pleinement communautarisées, les États tenant à garder le contrôle du processus décisionnel par la limitation du rôle de la Commission et par le vote à l’unanimité au Conseil, en particulier, à la demande de l’Allemagne et de l’Autriche, pour l’accueil des réfugiés et pour l’entrée et le séjour des ressortissants d’États tiers.


Le troisième « pilier » est désormais limité à la coopération policière et judiciaire pénale, matières qu’il n’a pas été jugé possible de faire passer dans le domaine communautaire mais dont la gestion intergouvernementale s’est révélée insuffisante. D’où la volonté de progresser en fixant des objectifs clairs appelant des actions cohérentes de la part des États membres. Le traité tient compte de la convention Europol qui va entrer en vigueur et fixe le cadre général de la coopération policière. La coopération judiciaire pénale est mieux définie. Il est prévu d’adopter des critères communs au droit des pays membres en ce qui concerne la criminalité organisée, le terrorisme et le trafic de drogue. Le processus de décision législative en matière policière et pénale n’est plus strictement intergouvernemental. Certe le Conseil des ministres continue à décider à l’unanimité, mais la Commission reçoit le droit d’initiative, à l’égal des États, et le Parlement européen est désormais consulté.


L’espace de liberté, de sécurité et de justice défini par le traité d’Amsterdam représente un progrès important, mais dont l’extension territoriale ne coïncide pas exactement avec celle de l’Union européenne.


L’accord de Schengen, convention intergouvernementale, est intégré dans le traité sur l'Union européenne, ses acquis étant répartis entre le premier « pilier » communautaire et le troisième sur la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Or, la Grande-Bretagne et l’Irlande – qui lui est liée dans ce domaine (« common travel area ») – refusent de participer à Schengen pour conserver leurs contrôles aux frontières. Un protocole annexé au traité d’Amsterdam leur reconnaît le droit de conserver ces contrôles et de ne pas participer aux nouvelles politiques communautarisées du « premier pilier » (visas, asile, immigration et autres politiques liées à la libre circulation des personnes) ni de devoir les appliquer, à moins d’en exprimer le désir. Il est précisé que l’éventuelle participation de ces deux pays à ces politiques ne leur donnera pas un droit de veto. Quant au Danemark, qui appartient à l’espace Schengen et qui a aboli le contrôle à ses frontières, il accepte le développement de l’acquis Schengen dans le cadre du troisième « pilier » intergouvernemental. Mais pour préserver sa souveraineté, il refuse de participer aux politiques communautarisées du premier « pilier », ce dont prend acte un protocole.


En revanche, l’espace Schengen s’étend à deux États ne faisant pas partie de l’Union européenne. Le 19 décembre 1996, pour préserver l’Union nordique des passeports, la Norvège et l’Islande concluent un accord d’association qui est repris par le traité d’Amsterdam.


Quant aux futurs États membres de l’Union, pour éviter la multiplication de statuts particuliers, le traité stipule que l’acquis de Schengen doit être intégralement accepté par tous les États candidats à l’adhésion.


La réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice fait l’objet d’une véritable volonté politique. Dès le Conseil européen d’octobre 1998, José María Aznar, Premier ministre espagnol, propose la convocation d’un Conseil européen spécialement consacré à la sécurité intérieure. Dans cette perspective, la Commission européenne fait des propositions, le Parlement européen adopte des résolutions et le Conseil européen de Vienne (décembre 1998) établit un plan d’action énumérant les mesures à adopter à échéance de deux ou cinq ans après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam. Le Conseil européen de Tampere (Finlande) des 15-16 octobre 1999 fait de la sécurité intérieure l’un des grands objectifs de l’Union, comme l’avaient été l’Union douanière, la politique agricole commune (PAC) et l’Union économique et monétaire (UEM). Il décide la mise en œuvre « intégrale et immédiate » du traité d’Amsterdam. A cet effet, il accroît le rôle de la Commission en la chargeant de faire des propositions législatives et de veiller à l’avancement des travaux par la préparation d’un calendrier et la tenue d’un « tableau de bord » semestriel.


Le Conseil de Tampere s’engage à « élaborer une politique européenne commune dans le domaine de l’asile et de l’immigration », à créer un véritable espace européen de justice par la reconnaissance mutuelle des législations civiles et pénales et en permettant un meilleur accès des citoyens à la justice, en développant la lutte contre la criminalité à l’échelle de l’Union à partir d’Europol et par la création d’Eurojust (structure composée de magistrats et d’officiers de police pour coordonner les enquêtes en matière de lutte contre la criminalité organisée) et par l’harmonisation du droit pénal des États membres.


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