Note de la délégation française sur les conditions économiques et financières du marché des armements (29 mars 1955)

Texte
Le 29 mars 1955, le secrétaire général de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) communique une note de la délégation française qui analyse les conditions économiques et financières d'un marché des armements en Europe occidentale.

Source et copyright

Source: . Comité d’experts. Note du Secrétaire général. 29-03-1955. Conservé à: Archives Nationales de Luxembourg (ANLux). Western European Union Archives, Armament Bodies. CPA/SAC. Comité permanent des armements, File CPA-034.

Copyright: (c) WEU Secretariat General - Secrétariat Général UEO

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175
UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE 175
COMMISSION INTÉRIMAIRE
GROUPE DE TRAVAIL SUR LA PRODUCTION ET LA STANDARDISATION DES ARMEMENTS

CONFIDENTIEL
PWG/E/26
Original:français
29 mars 1955

COMITE D'EXPERTS

Note du Secrétaire Général

Le Secrétaire Général a l’honneur de communiquer ci-joint
une note, de la délégation française intitulée:
’’Conditions économiques et financières
du marché des armements
”.

Cette note a été établie pour contribuer à l’étude du
point B 5 du mandat du Comité d’Experts, lequel est ainsi libellé:

"Etude des conditions en matière de finances, de balances
de paiements et de politique commerciale, tenant compte
tout particulièrement de la possibilité d’assouplir les
restrictions quantitatives et d’alléger les charges
douanières".

Le Comité examinera cette note lors de l'une de ses
prochaines séances.


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PWG/E/26

CONDITIONS ECONOMIQUES ET FINANCIERES DU MARCHE DES ARMEMENTS

En étudiant les conditions économiques et financières du
marché des armements, il est nécessaire de tenir compte de la na-
ture
des besoins à satisfaire, c’est-à-dire des exigences militai-
res
. Des impératifs techniques et stratégiques ainsi que la néces-
sité
de maintenir des capacités de production susceptibles d'ex-
pansion
rapide donnent, en effet, à ce marché ses caractéristiques
particulières.

La méthode économiquement la plus avantageuse qui pourrait
être adoptée pour l'approvisionnement des armées en temps de paix
risquerait d'aboutir à des résultats militairement inacceptables.
Inversement, l'organisation du marché des armements en fonction
de préoccupations purement militaires aboutirait sans doute à
des impossibilités économiques. Il paraît donc utile d'étudier les
conséquences probables qui résulteraient de l'application de cha-
cun
de ces deux principes opposés avant de rechercher une formule
susceptible de les concilier.

I - PRINCIPE ECONOMIQUE :

La façon la plus économique pour les pays de l'Europe occi-
dentale
de se procurer les armements nécessaires serait, sans doute,
de supprimer les restrictions quantitatives et les droits de doua-
ne
de façon à permettre à chaque pays de s’approvisionner, aussi
bien à l'intérieur de l'Union occidentale qu'à l'extérieur, aux
sources les moins onéreuses. Le jeu de la libre concurrence abou-
tirait
ainsi, en principe, tout au moins entre les pays qui en
appliqueraient intégralement les règles, à favoriser une division

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internationale du travail aussi poussée que possible, permettant
la production des matériels en grande série et l'abaissement des
prix de revient.

Dans les conditions économiques actuelles, cependant, il y a
lieu de penser qu'une large partie des commandes seraient placées
à l'extérieur des pays de l'Union occidentale, et, en particulier,
aux Etats-Unis et au Canada dont les prix de revient sont inférieurs
pour de nombreux matériels, à ceux des industries européennes.

La première conséquence de cette politique serait de créer
pour la plupart des pays de l'Europe occidentale des problèmes de
balance des paiements insurmontables.

Au point de vue militaire, la concentration industrielle qui
en résulterait aurait en premier lieu pour effet de rassembler
dans certaines régions particulièrement bien placées au point de
vue économique la majeure partie des industries d'armements, consti-
tuant
ainsi des objectifs particulièrement vulnérables en cas de
conflit. D'autre part, si, comme il y a lieu de penser, cette con-
centration
s'effectuait pour une large part au profit d'industries
éloignées de l'Europe occidentale, la base industrielle de produc-
tion
qu'on s'est efforcé de renforcer en Europe, notamment pour per-
mettre
de raccourcir les lignes de communications nécessaires à l'ap-
provisionnement
des armées en cas de conflit se trouverait considé-
rablement
amoindrie. Ceci irait à l'encontre des buts de l' Organi-
sation
Atlantique
suivant lesquels il est essentiel de porter la
production d'armements en Europe à un niveau élevé, de manière à
soutenir efficacement les Forces armées de l'Alliance et à les ren-
dre
moins tributaires des longues lignes de ravitaillement partant
de l'Amérique du Nord.

Ce serait, enfin, renoncer dans la plupart des cas à ce qu'il
soit procédé en Europe aux études et aux recherches qui sont

.../...

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indispensables en matière d’armements, si l’on veut s'efforcer de
s'assurer un avantage technique sur l'adversaire. Ces études
impliquent, en effet, des travaux et des essais coûteux qui ne
peuvent devenir rentables pour un industriel que s'il est assuré
d'obtenir une commande importante du matériel correspondant. De
telles études risqueraient d'autre part de demeurer théoriques
si les résultats n'en étaient pas sanctionnés par la production
industrielle du matériel.

II - PRINCIPE MILITAIRE

Si l'on néglige au contraire ces considérations économiques,
les inconvénients sont inverses.

La dispersion des points de fabrication qui serait souhaita-
ble
pour limiter les risques d'attaque aérienne aboutirait, d'une
part, au morcellement des industries productrices et, d'autre part,
à leur implantation dans les secteurs d'Europe ou d'Afrique du
Nord
les moins exposés. Cette dispersion aurait naturellement pour
effet de s'opposer à ce que, par des investissements suffisants et
des productions en plus grande série, il soit possible d'abaisser
le prix de revient des principaux matériels. L'implantation géogra-
phique
des usines dans des régions, en règle générale non indus-
trialisées
, éloignées des sources d'approvisionnement de matières
premières et d'énergie, situées dans les secteurs où la main-
vre
qualifiée fait défaut, aboutirait à créer des conditions de
production extrêmement difficiles sinon impossibles, et en tout cas
fort onéreuses.

Le souci de maintenir en Europe une base industrielle de
production susceptible d'expansion rapide on cas de conflit devrait
d'autre part conduire à l'établissement, dans chacun des pays de

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l'Alliance, d'un certain nombre de chaînes de production qui
devraient être mises sous cocon ou ne produire qu'à un rythme très
lent. Outre l'immobilisation du capital représenté par l'outillage,
cette méthode implique également que le personnel qualifié néces-
saire
au fonctionnement des chaînes demeure disponible. Bien qu’il
soit sans doute impossible de maintenir la base de production -
cessaire
sans employer de telles méthodes, elles ont l'inconvénient
d'être particulièrement onéreuses. Il convient de n'y recourir
qu'avec tout le discernement désirable pour éviter les doubles -
emplois.

Les perturbations que l'application brutale de ces principes
no manquerait pas d'apporter dans l'économie des Etats ne peuvent
être étudiées ici. Il y a lieu, cependant, de penser qu'elles se-
raient
considérables.

Le recours à des considérations purement militaires pour
déterminer la politique d'armements de l'Union finirait par aller
à l'encontre du but recherché puisque les ressources économiques
et financières limitées des pays membres ne leur permettraient pas,
en définitive, de satisfaire à leurs besoins militaires par cette
méthode.

°

° °

Il apparaît ainsi que l'organisation de la production des
armements en Europe ne saurait s'inspirer exclusivement de l’un
ou l'autre de ces grands principes. Chacun d’eux doit être tempéré
par une politique susceptible de tenir compte de façon réaliste
à la fois des impératifs militaires et des conditions économiques
et financières qui prévalent en Europe.


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Cette méthode devrait permettre:

- de procéder aux études nécessaires par le moyen d'une coopé-
ration
plus étroite entre les gouvernements;

- de maintenir en Europe une base de production suffisante tout
en évitant les doubles-emplois et l'éparpillement des moyens;

- de favoriser l'implantation des usines dans les secteurs les
moins menacés sans bouleverser les conditions économiques
actuelles ;

- de faciliter le jeu de la concurrence internationale notamment
par l’allégement des charges douanières et l'assouplissement
des restrictions à l'importation, sans compromettre l'équilibre
des balances des comptes.

Il semble que ces objectifs pourraient être plus facile-
ment
atteints si la production des armements en Europe était
organisée dans un cadre suffisamment précis pour que le jeu des
lois économiques ne risque pas de compromettre la réalisation
des objectifs militaires essentiels.