Déclaration d'Alexandre Parodi sur la production et la standardisation des armements (Paris, 21 janvier 1955)

Texte
Le 21 janvier 1955, lors de la troisième séance plénière du groupe de travail sur la production et la standardisation des armements tenue au Palais Chaillot, le délégué français Alexandre Parodi répond aux objections qui ont été formulées à l’encontre du mémorandum français (cf. PWG/A/2) qui propose la création d’une agence d’armement dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale. Le mémorandum n’a pas été bien reçu à l’exception de la délégation italienne. Alexandre Parodi détaille le contexte de la réalisation du document et précise qu’il s’agit de réaliser une standardisation des armements suffisante et une organisation de la production orientée vers une fabrication en grande série. Les propositions faites par son gouvernement ne remettent pas en cause les tâches qui sont déjà celles de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et il explique comment la nouvelle agence pourrait aller plus loin que l’OTAN en matière de standardisation. Parodi examine plus particulièrement les observations présentées par les Allemands et les Néerlandais. Tout en mettant en exergue les points sur lesquels le gouvernement allemand est d’accord, il répond aux réticences formulées et constate que la principale différence réside, au final, sur l’importance donnée au principe de la concurrence. Alexandre Parodi précise finalement que le projet d’agence s’applique également au Royaume-Uni, même s’il faudra s’adapter aux particularités de l’industrie d’armement britannique.

Source et copyright

Source: Union de l'Europe occidentale.Commission intérimaire. Groupe de travail sur la production et la standardisation des armements.Troisième séance plénière tenue au Palais de Chaillot le 21 janvier 1955 à 15 heures 30. Paris: 22.01.1955. PWG/CR/2. pp. 1-17; Annexe A; Annexe B.

Archives nationales de Luxembourg (ANLux). http://anlux.lu/. Western European Union Archives. Armament Bodies. CPA/SAC. Comité permanent des armements. File CPA-033. Volume 1/1.

Copyright: (c) WEU Secretariat General - Secrétariat Général UEO

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UNION DE L’EUROPE OCCIDENTALE
COMMISSION INTÉRIMAIRE
GROUPE DE TRAVAIL SUR LA PRODUCTION ET LA STANDARDISATION DES ARMEMENTS

TRÈS SECRET
PWG/CR/2
Original : français
22 janvier 1955

Troisième séance plénière

tenue au Palais de Chaillot

le 21 janvier 1955 à 15 heures 30

Etaient présents :

République Fédérale d'Allemagne Prof. Dr. L.ERHARD
Belgique M. A. de STAERCKE
France M. A. PARODI
Italie M. A. ALESSANDRINI
Luxembourg M. N. HOMMEL
Pays-Bas M. Van STARKENBORGH
Royaume-Uni Sir Christopher STEEL
O.T.A.N. M. L.P. WEICKER
Secrétaire général M. P. FRASER

I. Approbation des points 1 et 2 du compte rendu de la 1ère
séance
( Doc. PWG/Cr/1 ).

Les points 1 et 2 n'ayant fait l'objet d'aucune observation
sont adoptés.

II. Suite de la discussion générale sur les propositions dont le
Groupe de Travail est actuellement saisi ( Documents PWG/A/2,
PWG/A/5, PWG/A/6
).

Le Délégué de la France précise la position de sa Délégation
et répond aux observations de caractère général formulées par les
différentes délégations lors de la réunion du 18 janvier 1955 .

La déclaration faite à cette occasion par M. Parodi figure
en Annexe A au présent compte rendu .


- 2 -
PWG/CR/2

Le Président souligne l'intérêt qu’il y aurait pour le
Groupe de Travail à prendre connaissance de l'expérience acquise
par l'O.T.A.N. dans les domaines de la standardisation et de
la production des armements.

Il prie en conséquence le représentant du Secrétariat géné-
ral
de l'O.T.A.N.
de bien vouloir prendre la parole à ce sujet.

L'exposé de M. L.P. Weicker fera l'objet d'un document
séparé ( PWG/A/7 ).

III. Fixation de la date de la prochaine réunion

En raison de la complexité des problèmes abordés, et pour
tenir compte du fait que certains des experts dont la présence
est maintenant indispensable a la poursuite des travaux, doivent
assister à la réunion d'un Comité de l'O.T.A.N. dans le courant
de la semaine à venir, le Président propose de fixer la prochaine
séance au lundi 31 janvier à 15 h.30.

Il en est ainsi décidé.

°

° °

IV. Séance restreinte

Le Groupe de Travail s'est alors réuni en séance restreinte.

1°. Poursuite des travaux

Le Délégué de la France dépose deux textes concernant la
création de deux groupes techniques. Il est entendu que ces textes
(PWG/A/8) seront étudiés lors de la prochaine réunion, en même
temps que ceux qui pourraient être déposés dans l'intervalle par
d'autres délégations.

Le Délégué de l'Italie annonce que sa Délégation fera
également des suggestions dans le courant de la semaine à venir.


- 3 -
PWG/CR/2

2°. Relations du Groupe de Travail avec la Presse

Après une brève discussion sur les avantages et les
inconvénients d’une plus ou moins large diffusion des informations
à la Presse , il est décidé de s’en tenir à la solution qui avait
été précédemment adoptée.

3°. Approbation du projet de communiqué à la Presse

Le Groupe de Travail approuve le texte d'un communiqué à
la Presse qui figure en Annexe B.


PWG/CR/2 - Annexe A
Original : français

Déclaration de M. PARODI , Délégué de la France
à la séance du 21 janvier 1955

Je vous remercie, M. le Président , de me donner la
parole. Je souhaiterais en effet présenter, sur ce qui a été
dit au cours de la dernière séance, un certain nombre d'obser-
vations
. Je ne méconnais pas que ces observations n’auront
pas un caractère exhaustif. Je voudrais qu’elles portent
principalement sur les objections de caractère général qui
ont été faites et qui s’adresseraient aux principes mêmes du
Mémorandum français .

Le Mémorandum que nous avons soumis à un aspect
technique sur lequel j’ai déjà fourni des explications la
semaine dernière. Il présente aussi un aspect politique sur
lequel je voudrais, si vous me le permettez, insister d'abord
au cours de la séance d’aujourd'hui.

Dès l’origine, mon Gouvernement a marqué que le projet
que nous vous soumettions devrait être apprécié par rapport à
l'efficacité de la production des armements, mais aussi qu’il
constituait, dans la pensée du Gouvernement français , un
élément d’une organisation raisonnable de l’ Europe . Cet aspect
de nos intentions a été bien vu par notre collègue italien et
je l'en remercie. Il a été, dans les exposés faits au nom des
autres Délégations , plus ou moins ou passé sous silence, ou
traité négativement. Je voudrais m'expliquer à cet égard et,
me réclamant de la décision que nous avons prise sur le carac-
tère
intime de nos délibérations, qui ne sont pas ouvertes à
la presse, je voudrais pouvoir m'exprimer à cet égard avec
une très grande liberté de parole.


PWG/CR/2 - Annexe A
- 2 -

Que proposons-nous dans ce Mémorandum ? Nous proposons
de reprendre, sous une forme un peu différente, une partie de
ce qui avait fait l'objet des projets concernant la Communauté
Européenne de Défense
. Certainement, on peut légitimement
regretter que mon pays n'ait pas adopté les projets qui avaient
été préparés par de si longues études. Je ne crois pas, et
c'est ce que je voudrais maintenant développer, qu'il soit
légitime d'en conclure qu’il faut aujourd'hui écarter tout
projet, qui, sous une forme plus réduite, reprendrait une par-
tie
de ce qui avait été envisagé alors.

Le projet concernant la Communauté Européenne de Défense
avait un double objet. D'abord il tendait à développer l'orga-
nisation
de l'Europe Occidentale par la mise en commun des
forces, des productions de guerre au sens le plus large, en
visant non seulement les armes, mais les équipements, non seule-
ment
les choses, mais les hommes. La mise en commun des hommes,
des forces armées au sens humain, mettait les différents pays
en présence d'une difficulté majeure qui était de rendre inter-
national
, de soumettre à une autorité supranationale, ce qui est
le plus national par définition, c'est-à-dire les armées de nos
différents pays.

La mise en commun des choses aboutissait à la constitu-
tion
, sous la seule responsabilité de l'autorité supranationale,
d'un énorme budget, plus étendu que la partie restée nationale
du budget d'aucun des pays participants.

Le pas qu'il s'agissait de faire dans la voie de l'inté-
gration
européenne était donc un très grand pas, un pas tel que
nos pays auraient été définitivement engagés dans la voie d'un
processus qui aurait conduit logiquement et assez vite à une
quasi disparition de leurs différentes nationalités.


PWG/CR/2 - Annexe A
- 3 -

C’est devant ces perspectives que mon pays, peut-être
à tort, a finalement reculé. Si nous avons ainsi reculé devant
un projet d'une telle ampleur, il m’est permis de rappeler que
les partisans les plus convaincus d’une organisation européenne
n’ont jamais prétendu que la création de l’ Europe telle qu’ils
la concevaient fût une chose aisée ni rapide, et ils ont tou-
jours
fait entrer dans leurs calculs précisément les difficultés
qui se sont rencontrées de notre côté. Ils ont toujours pro-
clamé
qu’il fallait prévoir des étapes et qu’il faudrait beau-
coup
d’efforts pour atteindre les buts qu’ils se proposaient.

Je ne pense pas qu’il résulte de tout cela que nous
devions maintenant renoncer à toute proposition qui, sous une
forme plus prudente, permettrait de resserrer les liens de
l’ Europe occidentale , de faire obstacle au morcellement de nos
économies, de compenser par un travail concret fait en commun
les divergences qui nous séparent et tout ce qui fait de
l'Europe un ensemble si divisé.

Notre collègue italien a bien voulu marquer que, pour
cette raison, son Gouvernement était favorable au principe du
projet français, sous réserve de certaines modalités tenant
compte des caractères propres de l'économie italienne.

Il n’y a pas si longtemps, les délégations françaises ,
dans des réunions semblables à celle-ci, se trouvaient dans une
position difficile parce qu’elles donnaient l'impression de
manquer d'esprit européen et, très franchement, il y a quelque
chose d’un peu surprenant dans la situation où je me trouve
aujourd’hui, puisque c’est moi qui reprends à l’occasion du
Mémorandum français , la position la plus favorable à l’idée
d’un effort vers la constitution d’une Europe plus unie.


PWG/CR/2 - Annexe A
- 4 -

Entre le pas considérable dans la vole de l'intégration
que constituait la Communauté Européenne de Défense , et le rejet
de tout nouvel effort il y a place pour dos positions intermé-
diaires
, pour un travail en commun qui conserve quelque chose de
ce que nous avions en vue tous ensemble il y a encore quelques
mois.

Le projet de la Communauté de Défense avait un autre objet
qui était de faire disparaître les méfiances qui risquaient de
naître à l'occasion du réarmement de l'Allemagne , cola par dos
règles acceptées par le Gouvernement allemand et sans discrimi-
nation
entre nous.

J'ai déjà dit, au cours de ma première intervention, que
le réarmement de l'Allemagne était une grande affaire. En Allema-
gne
même il provoque certaines inquiétudes; il en provoque du côté
français. Nous ne pouvons pas nous reprocher les uns aux autres
ces méfiances. Mais nous pouvons essayer de les faire disparaître
et le remède, comme on l’avait très bien vu lorsqu'on avait tra-
vaillé
le projet de Communauté Européenne de Défense , c'est la
mise en commun de nos efforts, ce sont les contacts, c'est le
travail fait ensemble. On n'a pas pu aller jusqu'à la mise en
commun des armées elles-mêmes. Mais il est plus facile de mettre
en commun des armements que des hommes. L'esprit national, les
traditions nationales s'expriment à travers les hommes; elles ne
s'expriment pas dans le choix do tel ou tel matériel, Je pense
donc que nous ne devrions pas perdre complètement le bénéfice du
travail fait en commun mais au contraire essayer de conserver pour
les armements ce qui n'a pas pu être fait pour la totalité de la
défense.

Nous le pouvons d'autant mieux que l'industrie dos armement
constitue par sa nature un deuxième ou un troisième pas dans le-
quel
un effort commun serait profitable à. tous.


PWG/CR/2 - Annexe A
- 5-

La première expérience a été la Communauté du Charbon et de
l’Acier
. Une autre matière où des efforts ont été tentés, sous une
forme moins organisée mais avec profit, est le domaine des trans -
ports.

La matière des armement est aussi pour des raisons que nous
avons déjà indiquées, une de celles pour lesquelles un effort
commun, une organisation commune, répondent à la nature des choses.
Le Gouvernement français avait souhaité et souhaite que cette occa-
sion
d'ajouter à la Communauté du Charbon et de l'Acier une deuxiè-
me
construction conçue dans le même esprit no soit pas perdue.

J'en reviens maintenant à l'aspect technique do notre projet.
Je voudrais montrer de nouveau, dans le prolongement de ce que je
viens de dire, que la production des armements est, par sa nature
même, un terrain où une organisation européenne avec dos pouvoirs
d'une certaine étendue, peut le mieux se justifier sur le plan de
l'efficacité.

Ce que le Mémorandum français a en vue, c'est de réaliser,
d'une part une suffisante standardisation des armements, d'autre
part, une organisation de la production en vue de fabrications en
grande série.

Il m'est agréable de constater qu'en ce qui concerne les
objectifs généraux de notre document, un certain accord a paru
s’établir, et qu’on a bien voulu indiquer d'une manière générale
que les objectifs de standardisation et de production en grande
série étaient en effet valables.

On a fait observer cependant d’une part, en ce qui concerne
la standardisation, que c’était une matière relevant en propre de
l'organisation Atlantique et, d’autre part, que la libre concurren-
ce
serait la voie la mailleure pour aboutir à des prix de revient
bas dans le domaine de la production des armements.


PWG/CR/2 - Annexe A
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Je voudrais m'expliquer d'abord en ce qui concerne la stan-
dardisation
sur le rôle qui reviendrait à l'Agence des Armements
par rapport à l'Organisation Atlantique .

Nous ne pensons pas qu'il y ait contradiction ni opposition
entre la tâche qui incomberait à l'Agence , et celle que remplit
déjà l'Organisation Atlantique . D'abord parce qu'un lion entre les
deux catégories de travaux devrait être en tout cas établi, ce qui
a été dit dès l'origine de la manière la plus claire par le gou-
vernement
français
. Le travail que fait l'Agence ne serait dans
aucun cas effectué sans une liaison étroite avec les organismes
atlantiques. D'autre part, dans tous les cas où l'Organisation
Atlantique
a obtenu déjà ou aurait obtenu des résultats, il va de
soi que ces résultats deviendraient la règle pour l'Agence qui
n'aurait plus qu'à les appliquer.

Si enfin , l'Agence allait plus loin, à l'égard de certains
matériels, il n'y aurait encore pas contradiction car le travail
de l’ Agence irait dans le sens même des efforts de l'Organisation
Atlantique
et, par là même, faciliterait sa tâche.

Je voudrais enfin rappeler qu'au cours des travaux accomplis
à l'OTAN on est arrivé à des recommandations envisageant des accords
plus étroits entre certains pays seulement. Il n'y a donc aucune
contradiction, aucune opposition entre la tâche qui incomberait à
l'Agence en matière de standardisation, et celle qui est déjà faite
par l'OTAN .

Pourquoi d’autre part pensons-nous que l'Agence pourrait
aller plus loin que l'OTAN ? Parce que, il faut bien le dire, les
résultats obtenus sur le plan atlantique sont minces jusqu'ici.

Les explications qui ont été données à cet égard font apparaître
que le travail on est tout à fait à ses débuts, qu’il rencontre de
grandes difficultés, que les résultats ne sont pas considérables.


PWG/CR/2 - Annexe A
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Or, il n'est aucunement déraisonnable de penser que
l'Agence telle que nous la concevons, permettrait des résultats
plus rapides et allant plus loin. D'abord parce qu’une entente
est plus facile quand elle est conclue entre un petit nombre
de pays que lorsqu'elle en réunit un grand nombre. C'est ce qui
a été reconnu ici même. Ensuite, parce que l’ Union Occidentale
groupe des pays rapprochés géographiquement les uns des autres -
cela
a déjà été indiqué l'autre jour par M. de STAERCKE -
aussi
parce que la proximité géographique fait que les besoins
militaires sont plus exactement comparables que lorsqu’il s'agit
de pays dispersés à travers le monde; les problèmes techniques
sont plus immédiatement les mêmes. Enfin, c’est parce que ces
conditions géographiques, ces conditions de similitude entre
nos pays existent que l’on peut penser qu’une Agence comme celle
que nous vous proposons a une chance de fonctionner et que son
fonctionnement deviendrait, alors, par les pouvoirs qui lui
seraient conférés, par l’action qu’ils lui permettraient d'exer-
cer
, un élément de progrès plus considérables dans la voie de la
standardisation.

Pourquoi d'autre part envisageons-nous un organisme
permanent tel que l'Agence ? Parce qu’il est utile d’organiser
une collaboration constante, une collaboration organique par
laquelle des techniciens des différents pays soient en contact
permanent. Si la standardisation est utile, si on doit éviter
que les différentes armées de nos pays ne donnent l'exemple d'une
sorte d'échantillonnage d'armements variant d’une armée à l’autre,
et si par là une véritable cohésion entre les armées doit être
favorisée, alors il est utile qu’il y ait en effet un organisme
de cet ordre où les techniciens des différentes armées se rencon-
treront
, où ensemble ils réfléchiront, où ensemble ils prendront
les problèmes de l’armement non pas comme on fait autour d'une
table après les avoir étudiés d’abord nationalement, c’est-à-dire
en confrontant des programmes déjà établis, mais en cherchant dès
l’origine à établir en commun des programmes, ce qui est très
différent.


PWG/CR/2 - Annexe A
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Vous le savez par votre expérience internationale, c'est
seulement si nous mêlons nos techniciens les uns aux autres d'une
manière constante, pour l'application de directives communes,
que nous pouvons penser aboutir finalement à des décisions com-
munes
.

La standardisation que nous croyons essentielle ne l'est
pas seulement pour la cohésion de nos armées, elle l'est aussi
parce qu'elle est la première condition d’une organisation de la
production.

Qu’est-ce que nous voulons à cet égard ? Nous voudrions
qu'on parvienne à une certaine répartition du travail entre nos
pays de telle manière que des fabrications en grande série soient
possibles. Nos armées sont équipées de plus en plus avec dos ma-
tériels
extrêmement coûteux, extrêmement perfectionnés, qu'il
n'est pas possible d'amortir, si la notion d'amortissement a ici
un sens, sur un plan purement national. Je veux dire que la charge
do leur production devient absolument écrasante si elle n'est pas
répartie sur des séries aussi grandes que possible. Ceci est tout
à fait net dans le cas de l'aviation par exemple.

Je voudrais spécialement examiner ici les observations qui
ont ôté présentées du côté néerlandais et du côté allemand. Il y
a dans la déclaration qui a été faite par M. le Ministre Erhard
beaucoup d'observations qui certainement nous seront très utiles.

Il était très utile de nous rappeler et de souligner, comme il a
été fait, que le problème de la production des armements doit
être placé dans la contexture d'ensemble des économies de nos pays,
comme aussi de nous rappeler que la question des armements peut
poser un problème de balance des paiements.

Je constate d'autre part avec beaucoup de satisfaction que
l'exposé de M. Erhard fait apparaître qu'il est d'accord avec nous
sur un certain nombre de points de très grande importance;


PWG/CR/2 - Annexe A
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d'abord sur les buts mêmes que se propose le Mémorandum français
sur la nécessité d'établir l'autarcie nationale en matière
d'armement, enfin sur l'idée de la création d'usines d'armement
en commun.

Il m'a semblé d'autre part, après avoir entendu les
observations de nos collègues, que peut-être certains malentendus
résultant de la présentation de notre Mémorandum appelaient
immédiatement do ma part des explications et sans doute pouvaient
être Immédiatement dissipés. D'abord il n'est en aucune manière
dans notre intention d'établir à l'intérieur de chaque pays, un
dirigisme qui porterait atteinte au système économique de l'un
ou l'autre de nos pays. L'étude, quand nous la ferons, dos
pouvoirs de l'Agence et de son fonctionnement pourra nous amener
à modifier certaines des formules dont nous nous sommes servis
ou à prévoir des règles particulières et peut-être même des
garanties formelles de nature à écarter les craintes qui se sont
manifestées à cet égard.

L'action de l'Agence telle que nous la concevons doit
servir à mettre de l'ordre dans la production, à réaliser une
collaboration de pays à pays et une répartition des tâches.
Cela ne signifie pas que la concurrence des entreprises ne
doive pas se retrouver ensuite à sa place. Elle se retrouvera
même certainement dans le système tel que nous le concevons.
Nous n'entendons donc pas supprimer la concurrence. La question
se pose seulement, de savoir si la concurrence à elle seule
suffit pour des productions comme les productions de guerre à
assurer les plus bas prix (c'est sur quoi je reviendrai tout à
l'heure).

On a paru, d'autre part, craindre que le projet français
ne conduise à une sorte d'autarcie européenne. Je veux dire de
la manière la plus nette que nous avons beaucoup trop conscience
de l'importance des fournitures américaines: et des fournitures


PWG/CR/2 - Annexe A
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canadiennes pour envisager un seul instant que l'Agence puisse
s'orienter dans une voie purement européenne. L'Agence aura à
rechercher le meilleur armement au plus bas prix. Elle aura à
établir toutes les liaisons nécessaires avec la production
américaine et la production canadienne. Enfin, je tiens à
préciser encore que ,dans notre pensée, l'Agence des Armements
n'est destinée d'aucune manière à ajouter des contrôles à celui
qui fait l’objet de l’ Agence de contrôle des Armements . Peut-
être
à cet égard me suis-je servi dans mon exposé introductif
d’une formule qui a pu prêter à équivoque quand j’ai dit que
l'Agence s’assurerait qu'il n’y aurait pas de fabrication en
dehors de celles qu'elle avait prévues. Je voulais dire seule-
ment
que, le choix d’un prototype étant fait, on construirait
ce prototype seulement sans disperser les fabrications.

Ces précisions apportées, qu’est-ce qui, en définitive,
nous sépare? C’est la question de savoir si la concurrence,
que nous n’entendons pas faire disparaître, suffit à tout et
si par elle-même elle peut assurer les plus bas prix; si par.
conséquent, l'institution qu'a proposée le Gouvernement français
est une institution ou inutile ou mauvaise.

Messieurs, je crois qu'ici une première question se
pose qui est de savoir s’il doit y avoir en Europe , et spéciale-
ment
en Europe continentale , une industrie d’armement. Si l'on
admet que non, le problème ne se pose' évidemment pas. Et chacun
de nos pays pourra procéder par voie d’achats, en cherchant,
seulement le meilleur prix - remarque faite cependant que s’en
remettre complètement à des fournisseurs étrangers n’est pas
forcément le moyen de se garantir les meilleurs prix d’une
manière durable - remarque faite aussi qu’une telle spécialisa-
tion
dans laquelle nos pays ne seraient qu’acheteurs pourrait
bien poser un jour de redoutables problèmes pour la balance de
nos paiements.


PWG/CR/2 - Annexe A
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A vrai dire la question que je traite a quelque chose
d'un peu théorique. Il y a une industrie d'armement en France ,
il y en a une en Italie , il y en a une en Angleterre , il y en
a une pour d’importants matériels en Belgique et aux Pays-Bas
et je ne pense pas qu'aucun de nos pays entende y renoncer.

Si l'Allemagne paraît envisager aujourd'hui qu'elle
serait seulement ou principalement en position d’acheteur, je
crois pouvoir dire que ce ne peut être là qu'une situation
provisoire. M. Erhard nous en a donné l'explication qui est
que l’ Allemagne , partant de zéro, sera absorbée pendant un
certain temps par les questions d'infrastructure, d'installation,
Mais nous connaissons la qualité de la technique allemande, ses
traditions, la puissance de son industrie, l'habileté de ses
savants et de ses chercheurs, et je ne pense pas que la concep-
tion
d’une Allemagne achetant toujours tout son matériel de
guerre
à l'étranger soit une hypothèse de travail très réaliste
sinon pour une très courte période début.

Je rappelle enfin que l'OTAN a affirmé à maintes
reprises la nécessité du maintien et du développement des capa-
cités
de production d'armements en Europe . On comprendrait mal
que des pays à forte structure industrielle, comme sont nos
pays, renoncent à l'utilisation de leurs capacités pour leurs
efforts de défense, se contentent de fournir des hommes et
n’assurent en matière d'armement que le complément des importa-
tions
qui proviendraient d'autres pays. Ce serait courir le
risque, à brève échéance, que l'effort même de défense de nos
pays dans ses aspects politique et psychologique ne se trouve
rapidement compromis.

Si l'OTAN a insisté pour le maintien et le développement
de cette production d'armements, c'est aussi en vue d’assurer la
participation de l’ Europe à une telle production en cas de
mobilisation.


PWG/CR/2 - Annexe A
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Alors, dans la mesure où existe dans nos différents
pays une industrie d'armement, ou dans la mesure où elle exis-
tera
, les problèmes que nous avons essayé de résoudre par la
création d'une Agence se posent nécessairement : la production
du matériel moderne en raison de son coût élevé devient une
charge accablante si elle est conçue dans le cadre étroit de
programmes purement nationaux. C'est bien là le problème tech-
nique
que je rappelais tout à l’heure et auquel nous avons
essayé d'apporter une solution.

Enfin, je répète qu'il ne s’agit pas de couper la
production européenne de la production des autres pays, notam-
ment
de la production américaine et de la production canadienne
et qu'il y aura de toute manière des achats qui devront être
effectués suivant des modalités que nous aurons à fixer en trai-
tant
de l'Agence elle-même ou suivant des règles que l'Agence
déterminera.

La deuxième question que j'examinerai maintenant est
celle des caractères particuliers de l'industrie d’armements.
J’ai dit que nous n’entendions pas établir une doctrine diri-
giste
. Nous ne devons pas non plus méconnaître la réalité; la
production d'armements présente des caractères très spéciaux et
il serait utile d’examiner on détail et techniquement dans quelle
mesure cette industrie s'accommode vraiment d’un régime de libre
concurrence.

Je voudrais faire à cet égard les observations suivantes:
Le matériel d’armement , pour la plupart des catégories, n'est
pas une marchandise qui se trouve sur le marché, dont la produc-
tion
et l’échange puissent obéir aux seules règles classiques
des échanges en régime de liberté. Il s’agit d’une matière
pour laquelle il n’existe qu’un acheteur : les gouvernements.
D'autre part le choix du gouvernement acheteur ne peut se
déterminer d’après les seules normes de la comparaison des prix


PWG/CR/2 - Annexe A
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parce qu'il importe d'avoir à un moment donné le meilleur
matériel, même s'il est le plus cher, le matériel le plus
efficace, celui qui surclassera le matériel bon marché qui
n’aurait pas la même efficacité. Enfin, ce sont les gouver-
nements
acheteurs de ces matériels qui, pratiquement, détermi-
nent
à l'origine à quelles spécifications ils doivent répondre.

Ainsi, avant que l'on en soit au point où l'on peut
comparer lesprix de série, une suite d’opérations se développent
nécessairement qui, à tous les stades, impliquent une collabora-
tion
très étroite entre les demandeurs et les fournisseurs,
entre les militaires, les techniciens et enfin, les producteurs
proprement dits.

En effet, l’industrie des armements, d’une manière
générale, passe par dos stades que l’on peut résumer de la
manière suivante :

D’abord le choix des caractéristiques du matériel qui
est le fait des services techniques et des Gouvernements .

Puis il y a les études qui conduisent à l'élaboration
des prototypes recherchés pour répondre aux besoins ainsi
définis.

Il y a la fabrication des prototypes.

Ensuite, ceux-ci sont essayés et l’on fait un choix
entre eux.

Puis vient l'établissement des différents plannings de
production possibles, compte tenu du volume des commandes
déterminé par chaque gouvernement utilisateur.

Enfin viendrait le choix entre ces différents plannings.

Encore une fois, tout cela implique un travail en
commun constant. Et c’est vraiment une question qui mériterait
d’être examinée avec beaucoup de soin sur le plan technique :


PWG/CR/2 - Annexe A
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dans quelle mesure la libre concurrence trouve-t-elle son
compte dans un mécanisme de cet ordre, quelle y est réellement
sa place ?

Les problèmes que je viens de rappeler tenant à la
nature de la production des armements et qui sont dos problèmes
difficiles pour tous nos gouvernements, sont les mêmes qui se
poseraient à l'Agence une fois celle-ci constituée. Je panse
que, d’une manière très générale, les conditions dans lesquelles
la concurrence jouera dans le système de l’ Agence seront prati-
quement
les mêmes que celles dans lesquelles la concurrence peut
jouer à l'intérieur de chaque pays par rapport à l'action du
Gouvernement qui fixe les caractéristiques du matériel dont il
a besoin et, finalement, le commande.

Mais ce qui serait le propre de l'Agence , ce serait de
transporter ce problème de production du stade national au
stade international, au stade de l'effort à faire en commun.

Par là, l'Agence aura sans doute à répondre à certaines difficul-
tés
de répartition du travail entre les différents pays; mais
en contre-partie elle rendra l'inappréciable service de faire
passer des productions qui seraient des productions en petites
quantités, au stade des productions en grande série.

Par là elle créera une division du travail, un esprit
commun dans l’effort de production, dans les recherches tech-
niques
aussi, qui seront un élément essentiel d’une vraie et
confiante collaboration européenne,

A titre d'exemple, je relèverai ici les préoccupations
qui ont été marquées par notre collègue italien. Si nous essa-
yons
de les résoudre, dans le souci d'harmoniser nos efforts en
matière d'armement, simplement par des conférences tenues entre
nos pays, dans lesquelles nous confronterons des programmes
établis d'avance, il est probable - je prends le cas des préoc-
cupations
de main-d'oeuvre qui, très légitimement, sont celles du


PWG/CR/2 - Annexe A
- 15 -

Gouvernement italien - qu'il sera trop tard pour en tenir compte;
alors que, dans l'Agence , on aura dès l'origine réfléchi aux
possibilités des différents pays, parce qu'ils y seront repré -
sentés

Je doute beaucoup, pour ma part, qu'un régime de concur-
rence
libre puisse par lui-même conduire aux résultats que nous
recherchons, à une standardisation suffisante, d'abord, à une
production en grande série, ensuite.

M. le Président , je voudrais dire un mot maintenant d'une
question qui a été abordée mardi, celle de la participation de
la Grande-Bretagne au système tel que nous l'avons conçu. La
question a été posée l'autre jour de savoir si le Mémorandum
français s'appliquait à la Grande-Bretagne . Dans notre pensée,
il s'applique en effet à la Grande-Bretagne . Ceci n'exclurait
pas que l'Agence recherchât, le cas échéant, les modalités spé-
ciales
d'organisation qui conviendraient à la situation spéciale
de l'industrie d'armement anglaise.

Messieurs, dans les explications que je viens de donner
je ne crois pas qu'il y ait rien qui puisse paraître utopique en
ce qui concerne la tâche que nous attendons do l'Agence des
Armements
. Je crois, au contraire, que les vues que j'ai exposées
sont les seules qui tiennent compte à la fois des caractères pro-
pres
de la production des armements, des nécessités d'une produc-
tion
qui ne soit pas une charge écrasante pour nos pays - et qui nous
permettent cependant d'être vraiement armés, ce que nous ne
sommes pas encore pour le moment.

C'est aussi la seule voie par laquelle nous éviterons
l'autarcie nationale dont on a dit plusieurs fois qu'elle était
à éviter.

M. le Président , j'en ai fini avec les observations de
caractère général que je souhaitais présenter. Je ne méconnais
pas, encore une fois, que je n'ai pas épuisé le sujet ni répondu


PWG/CR/2 - Annexe A
- 16 -

à toutes les observations qui ont été faites. D'autre part,
j'ai été amené à présenter un certain nombre de vues qui ont
un caractère technique. Nous serons peut-être conduits à
envisager que les observations que j'ai présentées aujourd'hui
fassent l'objet, au cours de nos séances ultérieures, d’un
examen plus précis auquel nos experts seraient associés.

M. le Président , je vous remercie.


PWG/CR/2 - Annexe B
Original : anglais

COMMUNIQUE A LA PRESSE

21 janvier 1955

A la fin de sa première semaine d'activité, le Groupe de
Travail
a pu se faire une idée générale des points de vue des
Sept Gouvernements de l'Union de l'Europe Occidentale sur la
proposition française visant à la création d'une Agence d'Arme-
ments
qui serait chargée de superviser la standardisation et la
production de matériels militaires . Il a eu également l'occasion
de prendre en considération diverses autres suggestions soumises
par la République Fédérale d'Allemagne . Les problèmes de nature
tant politique que technique ainsi posés devront faire l'objet
d'une étude attentive de la part des Gouvernements , avant que
le Groupe de Travail ne puisse poursuivre ses travaux.

Etant donné que la prochaine réunion des experts en
matière de production de l'OTAN
, qui doit se tenir au cours de
la semaine prochaine, exigera la présence des experts de l'Union
de l'Europe Occidentale
, le Groupe de Travail a décidé de ne pas
se réunir pendant cette semaine.

Cet intervalle permettra aux délégations d'étudier une
bonne partie des questions soulevées jusqu'ici et de préparer,
de concert avec les conseillers techniques et leurs Gouvernement
un programme de travail pour la seconde période.

La prochaine séance plénière du Groupe de Travail se
tiendra le lundi 31 janvier à 15 heures 30.