Une ratification difficile

Une ratification difficile


Les gouvernements des Douze se sont engagés à obtenir, avant la fin 1992 la ratification du traité sur l'Union européenne en sous-estimant les difficultés que celle-ci rencontrerait.


Le Parlement européen doit se prononcer le premier. Certes il ne peut donner qu’un avis consultatif, l’Allemagne n’ayant pas obtenu que le traité lui attribue l’avis conforme (c’est-à-dire le droit de refuser), mais les parlements nationaux allemand, italien et belge ont annoncé qu’ils ne ratifieraient qu’en cas d’avis favorable. Or, les députés européens estiment le traité insuffisant. Aussi, dans leur résolution du 7 avril 1992, ils invitent les parlements nationaux à ratifier celui-ci compte tenu de ses éléments positifs, mais dressent une longue liste de ses insuffisances (rôle du Parlement européen et de la Commission dans les « piliers » intergouvernementaux, politique économique et sociale).


Les ratifications nationales ne semblent pas poser de problèmes, puisque les pays les plus réticents, Grande-Bretagne et Danemark, ont obtenu les dérogations qu’ils souhaitent. Mais les conditions générales sont moins favorables à l’Europe unie avec le ralentissement de la croissance en 1992 et la progression du chômage et l’impuissance des Douze devant la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie. L’utilité même de l’Union européenne risque d’être remise en cause. Quant au traité de Maastricht, très touffu et complexe, il est difficilement accessible aux non spécialistes. L’opinion est d’autant plus sensible aux arguments souverainistes.


Le Danemark est le premier pays à se prononcer. Mais au référendum du 2 juin 1992, alors que les partis politiques, les syndicats, les grands journaux préconisent le « oui », c’est le « non » qui l’emporte par 50,7 % avec une participation élevée de 83 %. Les Danois avaient pourtant approuvé l’Acte unique en 1986 à une large majorité. Il apparaît donc qu’ils acceptent la Communauté économique mais refusent l’Union qui entraverait leur souveraineté, en particulier pour la monnaie et la défense. C’est un choc dans la Communauté. Le Conseil décide aussitôt que les ratifications se poursuivraient comme prévu et que le cas danois serait traité plus tard. Il écarte toute renégociation du traité. Malgré tout le refus danois encourage les opposants à l’Union dans les autres pays.


Heureusement, cet échec est en partie compensé quelques jours plus tard, le 18 juin, par le succès du « oui » en Irlande, avec 68,7 % des voix au référendum, en dépit des réticences des défenseurs de la souveraineté et de la neutralité du pays. Pour l’Irlande, l’intégration à l’Europe, dont l’aide importante avait permis un véritable décollage de l’économie, reste essentielle.


Dans la plupart des États où les ratifications s’opèrent par voie parlementaire, celles-ci recueillent des majorités massives, ne votant contre les quelques communistes, écologistes et en Belgique les nationalistes flamands et en Espagne les nationalistes basques. Le Grand-Duché de Luxembourg se prononça le 2 juillet, la Belgique le 17 juillet (Chambre des députés) et 4 novembre (Sénat), la Grèce le 31 juillet, l’Italie le 17 septembre (Sénat) et 29 octobre (Chambre des députés), l’Espagne le 29 octobre, le Portugal le 10 décembre, aux Pays-Bas le 12 novembre (Chambre des députés) et 15 décembre (Sénat).


C’est en France que se joue véritablement le sort du traité dont elle a été largement à l’origine, avec l’Allemagne. La résistance d’une partie des parlementaires gaullistes, de la totalité des communistes, de quelques socialistes se manifeste dès la révision constitutionnelle, préalable indispensable à la ratification, encouragée par le « non » danois. C’est pourquoi le président Mitterrand choisit dès le 3 juin, au lieu de la voie parlementaire, celle du référendum dont le succès paraît assuré, d’après les sondages. Il est fixé au 20 septembre 1992. L’occasion aurait été bonne de débattre de façon approfondie des finalités et modalités de la construction européenne, de mieux faire connaître à l’opinion française l’Europe des Douze, ses institutions, ses réalisations. Mais c’était là une tâche malaisée, en raison de la complexité du système communautaire. Quant au traité de Maastricht, dont un exemplaire complet sera envoyé à chaque électeur, il laissera perplexe la grande majorité de ceux – peu nombreux – qui auront essayé de le lire. Les critiques, souvent outrancières, des opposants au traité et à l’intégration européenne ont davantage d’impact.


Le camp du « non » comprend naturellement le parti communiste de Georges Marchais et le Front national de Jean-Marie Le Pen, mais aussi des personnalités de l’opposition gaulliste (Charles Pasqua, Philippe Séguin) ainsi que de la majorité socialiste (Jean-Pierre Chevènement) qui ne représentent pas leurs partis, en majorité favorables au traité, mais qui ont de l’influence sur l’opinion. La campagne du « non » commence en exploitant immédiatement le refus danois et se poursuit tout l’été. Elle dénonce la perte de l’identité nationale que représenterait le traité et impute à la Communauté les difficultés économiques et la montée du chômage.


Le camp du « non », trop confiant, réagit tardivement, à la fin des vacances, devant la montée du « oui » dans les sondages. Il était sur la défensive, insistant sur les avantages futurs de l’Europe sans assez mettre en valeur les acquis de l’intégration. Le parti socialiste se mobilise avec le Premier ministre Pierre Bérégovoy. Les leaders de l’opposition Valéry Giscard d’Estaing, président de l’UDF, et Jacques Chirac, président du RPR, se prononcent pour le « oui ». Le point culminant de la campagne est atteint le 3 septembre avec l’intervention télévisée du président Mitterrand répondant aux critiques de Philippe Séguin.


Le référendum du 20 septembre 1992 bénéficie d’une forte participation (69 % des électeurs inscrits) et le « oui » ne l’emporte que de justesse avec 51,04 %. L’électorat s’est divisé en trois tiers : un pour, un contre et un d’abstentions et de bulletins nuls. La division entre les Français ne s’est pas opérée selon le clivage traditionnel droite-gauche, mais entre les centres droite et gauche et les deux extrêmes droite et gauche, des divisions se produisant dans tous les partis. A cela s’ajoute une coupure socio-culturelle en fonction du niveau d’instruction : le « oui » étant généralement le fruit des citoyens les plus informés, capables de comprendre les avantages de l’Union européenne. La ratification est donc acquise malgré la faible marge de victoire et se trouve écarté le risque d’une crise désastreuse pour la construction européenne.


En Allemagne, des inquiétudes se manifestent quant à la monnaie unique entraînant la disparition du deutsche mark, instrument et symbole de la puissance économique allemande, quant à l’importance du « non » au referendum français, du transfert vers Bruxelles de certaines compétences des Länder allemands. Une révision de la Loi fondamentale pour la rendre compatible avec le traité permet le 2 décembre au Bundestag d’approuver la ratification à une écrasante majorité. Le dépôt des instruments de ratification est toutefois retardé par plusieurs secours adressés à la Cour constitutionnelle, qui, dans son arrêt du 12 octobre 1993, estime le traité compatible avec la Loi fondamentale mais pose des limites au développement de l’Union européenne, qui ne devra pas s’attribuer d’autres pouvoirs ni lever ses propres impôts, considérant que le Parlement européen n’a pas assez de pouvoirs et de légitimité.


Reste le cas des deux pays les plus réticents : le Danemark et la Grande-Bretagne.


Le Danemark ne veut pas perdre les avantages de son appartenance à la Communauté tout en refusant les nouveautés apportées par l’Union européenne. Un « compromis national » approuvé le 30 octobre par le Parlement demande un statut particulier au sein de l’Union excluant le Danemark de la monnaie unique, de la défense, de la citoyenneté, de la compétence communautaire dans les domaines de justice et de police. Le Conseil européen d’Edimbourg (11 – 12 décembre 1992) accepte les prétentions. Il n’y a pas renégociation du traité mais confirmation des dérogations déjà prévues par des protocoles annexés au traité de Maastricht. Un nouveau référendum est alors organisé au Danemark, le 18 mai 1993. Le « oui » l’emporte largement avec 56,8 % des voix (86 % de participation).


En Grande-Bretagne, le processus parlementaire de ratification a bien commencé, tous les partis acceptant l’Union européenne compte tenu des dérogations sur la monnaie et la politique sociale obtenues à Maastricht. Mais aux élections d’avril 1992 la majorité conservatrice se trouve réduite après le « non » danois. Les conservateurs anti-européens avec Madame Thatcher exigent l’arrêt de la procédure parlementaire. La faible majorité du « oui » en France, puis la crise de la livre et sa sortie du Système monétaire européen encouragent les opposants au traité. Le Premier ministre John Major doit s’engager à attendre le résultat du deuxième référendum danois. Finalement c’est après le résultat favorable de celui-ci que la Chambre des communes, le 20 mai 1993, accepta la ratification grâce à l’abstention de la majorité des travaillistes.


Le traité de Maastricht peut enfin entrer en vigueur le 1er novembre 1993.



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